Le chocolat

En dégustant un carré de chocolat, il est rare de repenser à nos cours de sciences. Pourtant, de nombreux phénomènes chimiques entrent en jeu ici : Comment obtenir un chocolat toujours plus brillant ? Quelle est la meilleure méthode pour faire fondre du chocolat ? Pourquoi tous les chocolats ne sont-ils pas aussi craquants ? Autant de questions qui méritent d’être mieux étudiées et comprises en cuisine.

I Généralités

    Parmi les différents chocolats, on distingue classiquement trois catégories : le chocolat noir, le chocolat au lait et le chocolat blanc. Regardons ici de plus près ce qui les différencie en étudiant leur composition (plus de détails à venir dans un prochain article).

Le chocolat peut être décrit comme une phase grasse continue, le beurre de cacao, dans laquelle sont dispersées différentes particules solides. Parmi celles-ci, on retrouve du sucre en quantité variable, qui va venir adoucir le chocolat, le rendant moins amer et moins acide. Dans le chocolat noir et le chocolat au lait, les fèves de cacao vont quant à elles apporter la saveur caractéristique du cacao. D’un autre côté, les chocolats au lait et chocolats blancs sont caractérisés par la présence de poudre de lait qui permet de rendre la texture plus crémeuse et d’apporter de nouvelles saveurs. L’utilisation de poudre et non de lait évite d’intégrer de l’eau au mélange, ce qui ferait masser le chocolat. Enfin, des additifs sont nécessaires pour assurer une qualité optimale aux produits : la lécithine (émulsifiant qui va lier le sucre et le beurre de cacao ensemble) et la vanilline sont les plus fréquemment utilisés.

 

Le schéma ci-dessus représente les proportions d'ingrédients contenues dans les différents chocolats. La teneur en cacao d’un chocolat correspond à la somme des quantités de fèves de cacao et de beurre de cacao.

II Étude du système

    Lorsqu’on parle de chocolat en science, il est indispensable de parler de cristallographie. En effet, comme tout matériau, le chocolat possède des cristaux responsables de sa texture et de son aspect. Ce sont eux qui vont déterminer si un carré de chocolat est brillant ou terne, avec une cassure plus ou moins nette, etc. Les chocolatiers ont l’habitude de contrôler ces paramètres en effectuant une étape de tempérage.

À la maison, on peut vite se rendre compte de la nécessité de cette étape. En faisant simplement fondre du chocolat pour attendre qu’il se solidifie dans des moules, le résultat risque en effet de vous décevoir : on obtiendra un chocolat terne, difficile à démouler, qui fond très vite en main.

Pour comprendre ce qu’il se passe à l’échelle microscopique, prenons l’exemple de l’eau qui possède elle aussi différentes formes de cristaux selon les conditions de pression et de température. Les flocons de neige, blancs et fragiles, sont ainsi une forme “d’eau solide”, tout comme les glaçons qui seront eux transparents et durs.

De la même manière, le beurre de cacao est polymorphe. C’est-à-dire qu’il peut faire plusieurs formes de cristaux. Plusieurs noms sont donnés à ces formes cristallines. Là où les fabricants de chocolat vont utiliser des lettres grecques (alpha, bêta, gamma), les chocolatiers préfèrent des chiffres romains (de I à IV). Les cristaux, eux, restent les mêmes dans les deux cas.

Le tempérage a donc pour but de sélectionner une forme de cristal plutôt qu’une autre. Ici, en l’occurrence, la forme V. Pourquoi cette forme ? Comme représenté dans le tableau ci-dessous, les cristaux ont différentes températures de fonte (température de fusion). Cette différence provient de ce qu’on appelle la force de liaisons. Cette force peut être décrite comme des personnes se tenant la main plus ou moins fortement. On comprend alors que pour pouvoir séparer ces personnes, il faudra plus d’énergie lorsqu’elles se tiennent très fort.

La forme V a donc pour avantage de fondre à 34-35°C, ce qui correspond à la juste température pour que le chocolat ne fonde pas dans les doigts, mais fonde bien en bouche ! De plus, la forme des cristaux lui permet d’être brillant et cassant.

 

Tableau indiquant les différentes appellations et températures de fusion des formes cristallines du beurre de cacao

Intéressons-nous maintenant à la méthode utilisée pour sélectionner ces cristaux…
Les courbes bien connues du tempérage du chocolat sont décrites dans le graphique suivant. 

Comme nous pouvons le voir, dans un premier temps, il convient de complètement fondre le chocolat, ce qui permet de détruire tous les cristaux existant dans le beurre de cacao.

Dans une deuxième étape, on va refroidir ce chocolat pour obtenir les premiers cristaux qui seront à l’origine de notre beau chocolat.

La troisième étape de chauffage permet de détruire les quelques cristaux instables (les formes non désirées) et ainsi n’avoir que la forme V.

En tempérant le chocolat, on obtient donc une forme avec de solides liaisons en détruisant les formes les plus faibles. Seule une faible proportion de forme cristallisée (0.1 à 0.2%) va permettre d’initier l’organisation parfaite de la structure et avoir un beau chocolat, solide, lisse, brillant croquant et qui fond en bouche mais pas dans la main !

Courbes de tempérage de chocolats noir, au lait et blanc représentant la température en fonction du temps.

III Astuces

En ayant compris ces phénomènes, voyons comment on peut éviter certains désagréments en cuisine.

Tout d’abord quelques précisions concernant le tempérage :

    ○ Il existe plusieurs méthodes de cristallisation, la plus courante utilise la courbe de température à suivre à la lettre (ou au nombre !).
Une autre méthode plus rapide est appelée l’ensemencement : on fond ⅔ du chocolat et on ajoute ⅓ de pistoles déjà tempérées. Les cristaux contenus dans les pistoles vont alors jouer le rôle des premiers cristaux lors du tempérage classique, tout en abaissant la température. Si vous souhaitez encore plus de précision, vous pouvez contrôler la température finale qui doit correspondre à la dernière température sur la courbe. Vous pouvez ajuster la quantité de pistoles à ajouter en fonction.

    ○ En travaillant avec du chocolat fondu pour le faire cristalliser, il faut absolument éviter le contact de l’eau ! En effet, celui-ci va “masser”, c’est-à-dire qu’il va former une masse solide qui n’aura plus rien à voir avec le chocolat classique…
Cette problématique provient du sucre contenu dans le chocolat. Celui-ci, jusque là bien ordonné avec les émulsifiants, va préférer se lier à l’eau.  Le sucre va alors former des agglomérats et ne pourra plus rester en émulsion dans le gras. C’est pour cela que pour colorer ou aromatiser votre chocolat il faut des ingrédients dits “liposolubles” (qui se mélangent avec le gras).
Cependant, si on continue d’ajouter de l’eau au chocolat, à hauteur de 20%, le sucre va se dissoudre totalement dans l’eau, et redevenir liquide. Mais le chocolat ne pourra plus être utilisé pour faire des moulages, mais plutôt pour une ganache par exemple. 

    ○ Même si vous souhaitez avoir un chocolat brillant rapidement, la clé est le temps. On évitera donc de mettre le chocolat encore fondu directement au réfrigérateur ou au congélateur. Le chocolat risque de se déformer avec la différence d’homogénéité de la température. On risque alors d’obtenir des traces ternes et blanches une fois complètement refroidi.

Une fois votre chocolat bien brillant, il convient de le conserver… mais pas n’importe comment :

    ○ Il faut, d’une part, éviter les environnements trop humides (comme le réfrigérateur par exemple). Le sucre contenu dans le chocolat va préférer se lier à l’eau plutôt qu’au gras du chocolat. L’humidité et le sucre vont donc former un sirop à la surface du chocolat. S’il ne pose aucun problème instantanément, il risque d’entraîner la présence de traces blanches lorsque l’eau s’évapore. 

    ○ Un autre facteur qui peut jouer sur l’apparition de traces blanches est la température. Une température trop élevée peut entraîner l’apparition d’une pellicule blanche. Cette fois-ci, ce n’est pas du sucre, mais du beurre de cacao qui migre vers l’extérieur du chocolat. Mieux vaut donc garder son chocolat dans des températures avoisinant les 16°C.


Toutes ces traces blanches et ternes ne sont un problème que pour l’esthétisme du chocolat, bien qu’il perdra quelques qualités organoleptiques, il reste totalement comestible !

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